L’Assemblée nationale vient d’adopter, après un
vote solennel, le projet de loi sur la Refondation de l’Ecole. Mesure phare de
ce début de quinquennat, cette loi est bienvenue, après que l’éducation ait été
particulièrement mal traitée par le gouvernement précédent. Les conséquences de
10 ans de droite au pouvoir sont dramatiques : un corps professoral inquiet et
un pays qui a reculé du point de vue du niveau moyen d’éducation de ses élèves.
L’Ecole républicaine a de plus en plus de mal à assurer sa mission d’éducation
pour tous.
Le débat sur la refondation de l’Ecole a, ces
derniers temps, beaucoup tourné autour de la réforme des rythmes scolaires.
Mais l’un des volets essentiels de la loi concerne aussi la mise en place d’« un
plan national d’éducation artistique ».
Engagement pris par le Président de la République
durant sa campagne, ce plan suscite une attente forte chez l’ensemble des
acteurs qui travaillent, au quotidien, à offrir aux jeunes des espaces de
découverte des œuvres, des artistes et des temps de pratique artistique. Dix
ans après la suppression du plan Lang-Tasca, ponctués d’autant de renoncements
que de régressions, cet engagement constitue une occasion historique de faire enfin entrer massivement les arts à
l’Ecole, tout au long de la scolarité. Afin qu’elle ne soit pas une nouvelle
occasion manquée, il est urgent de définir précisément les principes, les
modalités et les moyens de cette généralisation de l’éduction artistique et
culturelle (EAC), de la maternelle à l’université.
Pour cela, il
est nécessaire de tracer rapidement une « feuille de route » qui précise les conditions
du lancement de l’EAC dès la rentrée 2013. Sans définir un cadre rigide qui
bride les initiatives des acteurs locaux et les enferme dans un schéma général
imposé « d’en haut », il est essentiel qu’un cadrage rende rapidement
lisible et visible cette politique. De plus, il faudrait lier la mise en œuvre du retour à la semaine de 4,5 jours à celle de
l’EAC, notamment dans les écoles primaires. Le temps libéré sur chaque
journée de classe devrait ainsi être prioritairement dédié à l’organisation
d’activités artistiques et culturelles. L’EAC ne devrait pas constituer une
option parmi d’autres propositions, mais au contraire être identifiée comme le principal élément de cette nouvelle
organisation du temps scolaire et périscolaire. Contrairement à l’idée qui
sous-tend la contestation, il ne s’agit
pas d’occuper le temps libéré, mais de l’optimiser, en croisant l’impératif
d’alléger les journées de classe avec l’exigence d’offrir à chaque enfant cette
richesse irremplaçable de l’expérience sensible de la création.
Voilà l’enjeu.
Les municipalités déjà fortement engagées dans
cette démarche pourraient s’appuyer sur les dispositifs existants (en lien avec
les structures culturelles, conservatoires ou bibliothèques qui les
accompagnent), qu’il conviendrait de faire évoluer pour s’adapter à cette
nouvelle donne. L’effort devrait dès lors porter sur les communes les plus
défavorisées et celles des zones rurales les moins bien dotées en structures
culturelles de proximité. Les parents y verraient aussi un « temps
utile » à l’épanouissement et à l’enrichissement de leur(s) enfant(s), qui
renvoie à une mission constitutive de l’Education nationale, plutôt qu’une
contrainte qui bouleverse la vie familiale. Le gouvernement répondrait enfin à
l’objectif majeur qu’il s’est assigné en direction des territoires prioritaires
et des élèves de primaire, qui doivent être les premiers bénéficiaires de cette
première phase de généralisation de l’EAC.
Définie comme « un enjeu politique,
pédagogique et culturel majeur », la généralisation de l’EAC constitue surtout
un défi immense dans sa mise en œuvre, puisqu’actuellement seuls 10 à 20% des
élèves seulement sont concernés par les dispositifs existants. Garantir
l’égal accès de tous les
jeunes à ces enseignements et à des pratiques artistiques implique donc de
préciser et d’arbitrer, rapidement, plusieurs points. Sans quoi, la réforme manquera
inexorablement les objectifs visés. Il convient donc aujourd’hui de
définir :
- Le volume horaire affecté de manière obligatoire à l’EAC, sur le temps scolaire
articulé avec le périscolaire, selon les modalités de mise en œuvre de la
réforme des rythmes scolaires. Cela doit permettre que chaque classe bénéficie
d’un parcours artistique et culturel.
- Les moyens affectés par la puissance publique. Depuis dix ans, les collectivités
territoriales compensent le retrait de l’Etat par des initiatives originales
(dans un contexte d’asphyxie budgétaire de plus en plus prégnant). Elles doivent
aujourd’hui bénéficier d’une péréquation
minimale des crédits de l’Etat pour faire face à cette montée en charge. De
plus l’Etat, faute de moyen, n’est plus en mesure d’assurer la mise en place de
dispositifs pourtant nationaux, comme les classes à PAC, dans certaines
académies comme celle de Nantes, de Nice ou d’Orléans.
- La production d’outils pédagogiques au service de l’EAC, en utilisant notamment les
ressources du numérique, tout particulièrement nécessaires dans les territoires
les moins bien dotés en termes de structures culturelles.
- La mise en synergie à travers un pôle ressource nationale de
l’ensemble des acteurs concerner par l’EAC. Que ce soit les différents ministères (Éducation,
Culture, Jeunesse et Éducation populaire, Universités, l’Agriculture), les
collectivités territoriales mais aussi des associations d’éducations
populaires.
- La formation des enseignants, des éducateurs et des équipes
artistiques.
- Les possibilités d’intervention en milieu scolaire des artistes
qui doivent être facilitées. Le nombre d’heures d’actions artistiques dispensées
par les artistes ouvrant droit à l’assurance chômage dans le régime de
l’intermittence doit être fortement relevé. Il est aujourd’hui de 55 heures sur
507 heures sur 10 mois et demi. Il devrait être au moins triplé. Il faudrait
aussi que les possibilités d’employer des intervenants artistiques dans le
cadre scolaire soient simplifiées.
- Le calendrier de mise en œuvre du dispositif, qui doit prévoir un
phasage fondé sur les priorités annoncées (zones rurales et défavorisées /
école primaire).
- Un pilotage du dispositif au niveau de l’Etat et l’articulation de son
action avec les collectivités territoriales (auxquelles doit être assignée une
mission claire, qui ne devra plus relever du volontariat, facteur d’inégalités
entre les territoires, donc entre les élèves). Le rôle de coordination confié
aux DRAC et aux Rectorats pourra difficilement suffire à la mise en œuvre d’un
dispositif d’une telle ampleur. La loi de décentralisation devra aussi prendre
en compte cette ambition.
La mise en place d’un parcours d’éducation
artistique pour tous les élèves n’a pas seulement pour objet de favoriser
l’égal accès à une pratique culturelle. Le rapport à l’art et à la culture des
citoyens se construit aussi à l’Ecole. Si l’on veut que la culture joue un rôle
majeur dans l’émancipation sociale et ne devienne pas juste un objet destiné à
être vendu puis consommé, il faut qu’elle fasse partie pleinement du corpus
éducatif de tous les citoyens.
En juillet 2012, lors de son premier déplacement en
tant que président de la République au
festival d’Avignon, François Hollande déclarait chercher « le » projet
culturel du quinquennat. A juste titre, il précisait : « Ce n'est pas
simplement un grand équipement, cela peut être une grande ambition, cela peut
être une grande idée mobilisant tous les territoires et pas simplement un lieu
comme cela a été le cas dans le passé» Le
déploiement d’un plan national d’éducation artistique et culturelle sur tout le
territoire doit être une réponse à la hauteur de cette ambition.
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