jeudi 27 mars 2014

L’accord du 22 mars sur l'assurance chômage : une occasion manquée pour l’intermittence

Par Frédéric Hocquard, secrétaire national du Parti Socialiste à la culture
Et Fanélie Carrey-Conte, Députée de Paris, membre de la commission des Affaires sociales 
Reprenant des préjugés pourtant maintes fois démentis sur le coût supposé et l'illégitimité du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, le MEDEF a d'emblée instrumentalisé cette question pour en faire le chiffon rouge de la renégociation de la convention UNEDIC achevée la semaine passée.
Si le maintien des annexes 8 et 10 garantit heureusement la non disparition de ce régime, l’accord trouvé passe à côté de l'opportunité de proposer une réforme progressiste ambitieuse de l’intermittence.
En effet, il ne résout pas les problèmes de précarisation des conditions d’emploi des artistes et des professions du spectacle qu'avait entrainé la mise en place du protocole de réforme de 2003; il risque même, à terme, de les aggraver.
Cette négociation aurait pourtant pu être l’occasion de régler cette situation de fragilité des professionnels du spectacle : employeurs, artistes et techniciens. Le récent rapport d’information du député Jean-Patrick Gille sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques était d'ailleurs venu rappeler les nécessités d’une action publique dans ce domaine.

De plus, la discussion entre partenaires sociaux s’ouvrait dans un contexte où existent depuis longtemps dans le débat public de nombreuses propositions largement étudiées par les professionnels et les représentants des employeurs, dont le comité de suivi de la réforme de l’assurance chômage des intermittents (composé notamment de la CGT Spectacle, du SYNDEAC, de la Coordination des Intermittents et Précaires…)
Parmi ces propositions, on peut évoquer :
  • Le déplafonnement de l’assiette des cotisations, afin de faire contribuer davantage les professionnels les mieux intégrés ;
  • le plafonnement du cumul des revenus d’activité et des allocations chômage ;
  • le retour à la date anniversaire (12 mois pour 507 heures) ;
  • l’augmentation significative du nombre d’heures d’intervention artistique (notamment dans le cadre scolaire, où les besoins sont de plus en plus nombreux avec la réforme des rythmes éducatifs) pouvant être prises en compte pour le décompte des heures d’intermittence.
Notons que, selon les travaux de Mathieu Grégoire, maître de conférences en sociologie à l’université d’Amiens, la mise en place de ces mesures aurait pu être génératrice d’économies pour le régime lui-même.
Ce ne sont pourtant pas ces propositions qui ont été débattues, mais d’autres, issues d’une feuille de route initialement amenée par le MEDEF, conduisant à ce qu’un tout autre chemin soit pris.
Cela se traduit au final par une reforme déséquilibrée, au sein de laquelle de vraies mesures pénalisantes ont vu le jour. Ainsi, alors que le MEDEF a refusé l’augmentation des cotisations patronales dans tous les autres secteurs, il apparait paradoxal que seuls les employeurs du secteur culturel (secteur majoritairement composé de petites structures déjà fragiles, compagnies indépendantes…) doivent supporter une hausse de cotisation. De même, la mise en place d’un « différé » d’indemnisation sera problématique pour une profession qui, rappelons-le, se caractérise par la discontinuité de l’emploi et la multiplicité des employeurs.

Quant aux justes économies qui auraient pu être réalisées sur le régime, la seule mesure retenue, le plafonnement du cumul indemnités- salaires bruts à 5 475 euros, n’aura finalement qu’un faible impact.
Cet accord UNEDIC maintient donc un statu quo porteur en réalité d'une aggravation de la situation, et des questions essentielles, comme la situation des « matermittentes », demeurent aujourd’hui toujours sans réponse. Les signataires ont simplement remis à l’État le soin de lutter contre la précarité des intermittents du spectacle vivant.
Ce n’est pas ce que l’on pouvait attendre d’une vraie concertation entre des partenaires sociaux en faveur des artistes et de professionnels dont l'existence est pourtant si nécessaire à l’expression culturelle et artistique de notre pays. Ce n’est pas ce que l’on pouvait attendre d’un débat public qui aurait dû être l’occasion de réaffirmer ce que professionnels, usagers de la culture, mais aussi de nombreux élus, et le Gouvernement, ont maintes fois répété : la légitimité politique et l’utilité d’un régime solidaire d’assurance chômage adapté aux spécificités des métiers des intermittents, régime indispensable pour faire rayonner la culture dans notre société.
L'accord UNEDIC est donc une occasion manquée pour l'intermittence. Au-delà, ce goût amer peut être ressenti sur les conclusions globales de la négociation : si l'on doit saluer la mise en œuvre des droits rechargeables, on ne peut que regretter qu'au terme de la négociation globale, ce sont au final 400 millions d'économies (sur 38 milliards de dépenses) qui seront supportées par les chômeurs eux-mêmes, cadres, mais aussi intérimaires et seniors. Une nouvelle fois, la focalisation sur la nécessité de trouver coûte que coûte de nouvelles économies a occulté tout débat sur le rôle d'amortisseur social joué par le système de l'assurance chômage, dont le déficit est logique et nécessaire en période de fort chômage, car permettant de prévenir le basculement vers la grande précarité. Une nouvelle fois, cette idée d'un effort supporté par les seuls chômeurs risque de contribuer à alimenter les inquiétudes et les doutes, pourtant clairement exprimés dans les urnes dimanche dernier, de nos concitoyens les plus en difficultés...
Dès lors, des responsabilités incombent à la gauche au pouvoir : réaffirmer dans le débat public ces principes sur le sens et l'utilité sociale d'un système solidaire d'assurance chômage ; appuyer les syndicats de salariés dans leur rapport de force avec le patronat ; et enfin, mobiliser directement des moyens nouveaux pour les droits des précaires et des chômeurs.
 En particulier, concernant l’intermittence, alors que l’accord UNEDIC prévoit que l’Etat ouvre avant la fin de l’année avec les partenaires sociaux de ce secteur une nouvelle concertation sur les moyens de lutter contre la précarité, nous croyons indispensable que le gouvernement prenne en compte les conséquences de cet accord avant ratification par le ministre du Travail, et s’engage dès à présent publiquement sur la reprise de propositions portées par le comité de suivi.

2 commentaires:

  1. merci de votre gentil mot. Pas très mordant tout de même en rapport à la gravité de cet accord!!! Nous comptons sur vous pour faire remonter ces informations au
    Ministre du travail et à la Ministre de la Culture afin qu'il n'agrées pas le texte, et renvoient les partenaires sociaux autour de la table, à négocier sur de réelles bases dont les propositions du comité de suivi! Et pourquoi pas demander à ce que cette négociation est lieu au siège de la CGT pour changer!? (rappel les négociations ont toujours lieux au siège du MEDEF sur la base de ses désidératas.) cdl,
    Gauche au pouvoir ??! Démocratie oblige!

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    1. pour info l'actuel Ministre du Travail François Rebsamen à signé il y a environs un mois la tribune du comité de suivi pour que leurs propositions soient prises en compte! Si la parole des politiques à encore un sens, il devra ne pas agréer cet accord désastreux! Sinon il fait aussi fort que les promesses non tenues par François Hollande.

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