mardi 18 février 2014

Intermittence du spectacle, une réforme de gauche est possible.

En proposant, dès l’ouverture des négociations sur l’assurance chômage, de réintégrer le régime des agents et techniciens de l'audiovisuel et des artistes du spectacle vivant dans le régime commun, le Medef s’est livré à une nouvelle provocation.
Pourtant dès l’ouverture de ces négociations, le Gouvernement par la voix de son Premier Ministre avait «déconseillé au Medef de persévérer dans son erreur» sur les intermittents. Propos confirmés par Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture, qui déclarait ce week-end: «Le gouvernement ne reprend nullement à son compte les propositions du Medef concernant la suppression du régime d’assurance chômage des intermittents. C’est même de la provocation».
Il n’y a donc aucune ambiguïté, pour  le gouvernement, il est hors de  question de remettre en cause le régime des intermittents du spectacle.
Comme bon nombre d’élus de gauche, je réaffirme ici que ce régime est aujourd’hui la base du fonctionnement du spectacle vivant et du cinéma en France. C’est en partie grâce à ce régime d'assurance chômage, quasiment unique au monde, que nous bénéficions d’un tel dynamisme culturel dans notre pays, que l’industrie du cinéma est aussi productive et le spectacle vivant à ce point varié, actif et créatif. Rappelons que sans l’intermittence, bon nombre de festivals de musique ou de théâtre ne pourraient avoir lieu.
Il convient aussi de rappeler que ce régime ne « coute pas 1 milliards d’euros » puisque selon l’UNEDIC, le surcout des annexes 8 et 10 par rapport au régime général est de 320 millions d’euros. Le régime de l 'intermittence du spectacle n'est donc pas responsable du déficit de l'Unedic.
Cependant, même si la modification du régime de l’intermittence relève avant tout d’une négociation sociale en cours, je voudrais ici avancer des pistes pour l’améliorer. Notamment en revenant  sur les fragilités et les dysfonctionnements qu’a introduite la reforme de 2003 et qui a entrainé une aggravation de la précarité de l’emploi culturel. En effet, les rapports parlementaires réalisés par l’Assemblée Nationale et par le Sénat en 2013 montrent que l’emploi dans la culture se caractérise avant tout par une fragilité et une précarité des parcours. Ces rapports notent aussi un vieillissement des intermittents du spectacle bénéficiant d’allocations chômage. Cela se traduit depuis 2003 par des difficultés croissantes pour bon nombre d'artistes ou de techniciens qui ont de plus en plus de mal à rassembler les 507 heures nécessaires, dans le délai trop court de 10 ou 10,5 mois afin de percevoir des allocations chômage. Pouvoir vivre de son travail relève pour beaucoup du parcours du combattant, de la débrouille.
Autre effet négatif de la reforme de 2003, la modification de l’équilibre même du régime : il est devenu principalement l’affaire des techniciens et non plus des artistes. En effet, on a assisté il y a quatre ans à un croisement des courbes entre les annexes 8 et 10 : le nombre global d’intermittents percevant des allocations chômage reste le même mais il y a de plus en plus de techniciens et de moins en moins d’artistes, ce qui est paradoxal dans le cadre d’un régime dont l’objet est aussi de soutenir la création artistique. Les artistes ont du mal à rentrer dans le système ou à y rester et leurs conditions de travail deviennent donc de plus en plus précaires.
Le retour à la date anniversairec’est à dire 12 mois pour 507 heures serait donc nécessaire pour palier ces déséquilibres et améliorer le fonctionnement du régime de l'intermittence. Une étude qui vient d'être réalisée par un universitaire d’Amiens et un chercheur du CNRS et qui a été rendu publique par le Syndeac et le comité de suivi, montre que  cette modification aurait pour principale effet de lutter contre la précarité des emplois d’intermittents, sans pour autant provoquer un afflux massif de nouveaux allocataires (+3% selon l'étude).
Ensuite, en cohérence avec la priorité affichée par le gouvernement sur l’éducation artistique et culturelle, il serait utile d’augmenter de manière significative le nombre d’heures d’intervention artistique pouvant être prises en compte pour le décompte des heures d’intermittence et d'en faciliter l'accès. Aujourd’hui, sur les 507 heures de travail à justifier pour percevoir des allocations chômage, seules 55 heures dédiées à l’action artistique et culturelle peuvent être comptabilisées. Valoriser d'avantage d'heures d'action artistiques qui contribue à la formation et à l'élargissement des publics donnerait de la souplesse au système et permettrait une adéquation avec un marché de l'emploi artistique en évolution. Il est utile de se représenter qu’aujourd’hui, un artiste n’est pas toujours payé pour l’ensemble de ses activités. Si on acceptait une prise en compte d’un nombre plus important d’heures d’action artistique, cela permettrait à beaucoup de jeunes artistes de vivre dans des conditions décentes de leur art et de pouvoir conserver leur statut d’intermittent.
Ces propositions viennent nourrir celles déjà formulées par Jean-Patrick Gilles, député socialiste et auteur, en 2013, du rapport parlementaire sur les métiers artistiques qui permettent une diminution du déficit :
- plafonnement du cumul mensuel rémunération plus indemnisation à 4000 € ce qui ferait déjà une économie de 32 millions d’euros,
- déplafonnement des cotisations assurance chômage, aujourd’hui, un artiste ne cotise que sur les premiers 12 000 € de son contrat
- lutte contre la permittence notamment dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel avec une obligation de proposer un CDI, à chaque salarié qui travaille plus de 600 h et une requalification automatique en CDI à partir de 900 h…
- la lutte contre le travail dissimulé ou non déclaré doit d'abord passer par le développement d'initiatives innovantes pour l’emploi artistique (comme le fonds national pour les cafés-cultures) et en faisant de l’intermittence un sujet d’intervention plus affirmée de l’inspection du travail.
Ce qui se joue sur la reforme de l’Unedic n’est pas que le régime de l’intermittence. C’est aussi la place que notre société donne à l’art et à la culture, l’espace que nous souhaitons  donner à une activité humaine dont le but premier n’est pas le profit ni la création de richesse, mais le renforcement du lien social, l’émancipation des individus où la création d’utopies. La gauche doit donc toujours se rappeler que c’est avec le Front Populaire et sous l’impulsion de Jean Zay qu’a été crée un « régime salarié intermittent à employeurs multiples pour les techniciens et cadres du cinéma ».

3 commentaires:

  1. Ouf !! Quelqu'un de réaliste et intelligent, qui a compris tant de choses !
    Merci, et que l'avenir lui donne raison !!

    RépondreSupprimer
  2. « régime salarié intermittent à employeurs multiples pour les techniciens et cadres du cinéma » La notion d'employeur multiples est fondamentale. Pourquoi ne pas proposer qu'elle revienne de manière plus stricte dans le réglement, de manière à limiter la "permittance" ?

    RépondreSupprimer
  3. Et puis "La culture contribue sept fois plus au PIB que l'industrie automobile" :
    http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20140103trib000807739/la-culture-contribue-sept-fois-plus-au-pib-que-l-industrie-automobile.html

    RépondreSupprimer