samedi 21 juin 2014

Reforme de l'intermittence : ce qui ne va toujours pas.


Réforme de l'intermittence : ce qui ne va toujours pas

 

par Fanélie Carrey-Conte, députée de Paris, membre du comité de suivi de la réforme de l’intermittence.

Frédéric Hocquard, conseiller de Paris

 

Le 27 mars, quelques jours après la signature de l’accord UNEDIC, nous signions une tribune intitulée « : L’accord du 22 mars sur l'assurance chômage : une occasion manquée pour l’intermittence ». Depuis, la mobilisation n’a cessé de croître chez les intermittents, faisant éclater au grand jour le malaise légitime de professionnels garants du dynamisme culturel de notre pays.

 

Jeudi 19 juin, le député Jean-Patrick Gille a rendu son rapport, suite à la mission qui lui a été confiée par le Premier Ministre.  Il y dresse un constat juste et lucide d’une situation très tendue, et trace des chemins possibles pour sortir de la crise. Il préconise un décalage de la mise en œuvre des dispositions de la convention de l’UNEDIC concernant les annexes 8 et 10. Et il recommande entre temps l’ouverture de discussions tripartites mettant autour de la table État, gestionnaires de l'UNEDIC, et acteurs culturels, pour travailler à la concrétisation de propositions de réforme durable du régime, propositions dont certaines, notamment celles formulées par le comité de suivi de la réforme de l'intermittence, sont depuis longtemps connues et versées au débat public. Il souligne enfin l’importance de la sanctuarisation des crédits de l’État en faveur de la culture.

 

Aujourd’hui pourtant, nous avons à nouveau le sentiment d’une terrible occasion manquée.

 

Le Premier Ministre a en effet annoncé l’agrément à la date prévue, pour effet au 1er juillet, d’un accord que tout le monde considère comme mauvais pour la culture.

 

Dans le même temps, l'Etat va s’engager financièrement pour neutraliser les effets du différé, reconnaissant par là-même l’illégitimité de cette mesure demandée par le MEDEF ; mais au lieu de chercher à l’annuler, l'Etat va donc lui-même la financer afin de ne pas pénaliser les intermittents… Ainsi, les économies escomptées pour l'UNEDIC seront par là même annulées, puisque l'Etat les compensera intégralement, du moins dans un premier temps...

Solution paradoxale qui vient mettre en lumière une question que l'on ne peut plus éluder : s'il faut évidemment respecter les partenaires sociaux et la démocratie sociale, n'est-il pas temps de s'interroger sur les marges de manœuvre dont devrait pouvoir disposer le pouvoir politique pour agir dès lors qu'il caractérise comme mauvais un accord issu de la négociation sociale ? Si la réponse à cette question est loin d'être évidente, il nous semble que, dans des situations de conflits comme celle que nous traversons aujourd'hui au niveau de l'intermittence,  le pouvoir politique ne peut systématiquement s'effacer derrière les partenaires sociaux.

 

De plus, l’UNEDIC fonctionne aujourd'hui selon le principe de la solidarité interprofessionnelle, les branches bénéficiaires compensant les branches déficitaires. C’est par exemple le cas avec l’annexe 4, l’intérim, qui est déficitaire. Avec la solution mis en place de la compensation par l'Etat du différé pour les seules personnes relevant des annexes 8 et 10, quand bien même ne serait-elle que transitoire, on risque, même si ce n’est pas la volonté du gouvernement, d’ouvrir la porte à une sortie des intermittents de l’UNEDIC, en créant pour eux une caisse autonome. Ils n’auraient alors plus le choix que de faire appel au seul budget de l’État.

 

En outre, la nomination d'une mission qui devra achever ses travaux avant la fin de l’année prête à interrogation : quelles conclusions nouvelles attend-on qu’elle produise, quand, comme on l'a déjà dit plus haut, les propositions de réforme du régime sont largement connues et formulées depuis longtemps, et donc déjà sur la table ?

 

Enfin, parce que derrière la question de l'intermittence, se pose plus largement celle de la place de la culture dans notre société, l'annonce du maintien des seuls crédits de la création dans le spectacle vivant laisse planer de fortes inquiétudes sur d'autres domaines comme le cinéma, le patrimoine, la transmission et la démocratisation...

 

La mobilisation émanant des acteurs du monde de la culture exprimait une chose simple : à travers leur volonté que ne soit pas agréé l'accord UNEDIC, pour qu'intervienne une modification des dispositions des annexes 8 et 10, ils demandaient simplement  que les engagements pris hier se concrétisent aujourd’hui, et que la gauche au pouvoir tienne ses promesses et agisse donc pour en finir avec le  protocole de 2003. Ce n’est pas à ce stade la voie qui a été choisie

Nous croyons que Gouvernement et Parlement doivent fermement s’engager aujourd’hui pour insuffler une autre logique en direction de la culture. Pas simplement par des mots apaisants, mais aussi en agissant pour régler les situations de précarités existantes. Défendre notre exception culturelle nécessite, au-delà des discours, de protéger celles et ceux qui la fabriquent  et la font vivre. Bien sûr des réformes doivent être mises en œuvre : c'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut remettre à plat le régime de l'intermittence, et œuvrer à la concrétisation des propositions du comité de suivi, à commencer par le retour à la date anniversaire, les  507h en 12 mois. Il faut également s'engager sur la prise en charge des périodes de maladie et de maternité. C’est pour cela que le monde de la culture se mobilise, c'est indispensable pour sécuriser les parcours des professionnels du secteur. Enfin, Il faut mettre en œuvre une politique budgétaire à la hauteur des enjeux, pour l'ensemble des secteurs, au-delà du seul spectacle vivant.

 

C'est dans les périodes de crise, quand l'extrême-droite est à l'affût, qu'il faut le plus investir dans la culture et dans la création, pour que celles-ci puissent continuer à jouer un rôle éducateur et émancipateur dans notre société. Il est indispensable de soutenir le rôle essentiel en termes économiques, politiques, sociaux, démocratiques…, que joue la culture dans notre pays. C’est aussi pour dire cela que le mouvement des intermittents a pris une telle ampleur.

La gauche au pouvoir ne peut passer à côté de ces enjeux, au risque de voir se creuser un fossé, une distance irréductibles, avec les acteurs culturels : il faut donc agir avant qu'il ne soit trop tard.

Pour notre part, nous continuerons à nous engager pour une reforme juste de l’intermittence du spectacle et une réelle prise en compte du besoin de culture de notre pays.

3 commentaires:

  1. Hier on me parlait de ce que rapporte la culture et les intermittents ;
    Aujourd'hui on me parle de ce que coûte la culture et les intermittents ;
    Demain j'ai très peur que l'on me parle de ce que coûte l'absence de culture et d'intermittents.

    Daniel Richard, militant socialiste et spectateur
    Orléans

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  2. Bravo et merci pour cette analyse juste !

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  3. Merci.
    Que cette parole soit largement transmise!

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