Réforme de
l'intermittence : ce qui ne va toujours pas
par Fanélie
Carrey-Conte, députée de Paris, membre du comité de suivi de la réforme de l’intermittence.
Frédéric Hocquard,
conseiller de Paris
Le 27 mars, quelques jours après la
signature de l’accord UNEDIC, nous signions une tribune intitulée « : L’accord du 22 mars sur l'assurance
chômage : une occasion manquée pour l’intermittence ». Depuis, la
mobilisation n’a cessé de croître chez les intermittents, faisant éclater au
grand jour le malaise légitime de professionnels garants du dynamisme culturel
de notre pays.
Jeudi 19 juin, le député Jean-Patrick
Gille a rendu son rapport, suite à la mission qui lui a été confiée par le
Premier Ministre. Il y dresse un constat
juste et lucide d’une situation très tendue, et trace des chemins possibles
pour sortir de la crise. Il préconise un décalage de la mise en œuvre des
dispositions de la convention de l’UNEDIC concernant les annexes 8 et 10. Et il
recommande entre temps l’ouverture de discussions tripartites mettant autour de
la table État, gestionnaires de l'UNEDIC, et acteurs culturels, pour travailler
à la concrétisation de propositions de réforme durable du régime, propositions
dont certaines, notamment celles formulées par le comité de suivi de la réforme
de l'intermittence, sont depuis longtemps connues et versées au débat public. Il
souligne enfin l’importance de la sanctuarisation des crédits de l’État en
faveur de la culture.
Aujourd’hui pourtant, nous avons à
nouveau le sentiment d’une terrible occasion manquée.
Le Premier Ministre a en effet annoncé
l’agrément à la date prévue, pour effet au 1er juillet, d’un accord que tout le
monde considère comme mauvais pour la culture.
Dans le même temps, l'Etat va
s’engager financièrement pour neutraliser les effets du différé, reconnaissant
par là-même l’illégitimité de cette mesure demandée par le MEDEF ; mais au lieu
de chercher à l’annuler, l'Etat va donc lui-même la financer afin de ne pas
pénaliser les intermittents… Ainsi, les économies escomptées pour l'UNEDIC
seront par là même annulées, puisque l'Etat les compensera intégralement, du
moins dans un premier temps...
Solution paradoxale qui vient mettre
en lumière une question que l'on ne peut plus éluder : s'il faut évidemment
respecter les partenaires sociaux et la démocratie sociale, n'est-il pas temps
de s'interroger sur les marges de manœuvre dont devrait pouvoir disposer le
pouvoir politique pour agir dès lors qu'il caractérise comme mauvais un accord
issu de la négociation sociale ? Si la réponse à cette question est loin d'être
évidente, il nous semble que, dans des situations de conflits comme celle que
nous traversons aujourd'hui au niveau de l'intermittence, le pouvoir politique ne peut systématiquement
s'effacer derrière les partenaires sociaux.
De plus, l’UNEDIC fonctionne aujourd'hui
selon le principe de la solidarité interprofessionnelle, les branches
bénéficiaires compensant les branches déficitaires. C’est par exemple le cas
avec l’annexe 4, l’intérim, qui est déficitaire. Avec la solution mis en place
de la compensation par l'Etat du différé pour les seules personnes relevant des
annexes 8 et 10, quand bien même ne serait-elle que transitoire, on risque, même
si ce n’est pas la volonté du gouvernement, d’ouvrir la porte à une sortie des
intermittents de l’UNEDIC, en créant
pour eux une caisse autonome. Ils n’auraient alors plus le choix que de faire
appel au seul budget de l’État.
En outre, la nomination d'une mission
qui devra achever ses travaux avant la fin de l’année prête à interrogation :
quelles conclusions nouvelles attend-on qu’elle produise, quand, comme on l'a
déjà dit plus haut, les propositions de réforme du régime sont largement
connues et formulées depuis longtemps, et donc déjà sur la table ?
Enfin, parce que derrière la question de
l'intermittence, se pose plus largement celle de la place de la culture dans
notre société, l'annonce du maintien des seuls crédits de la création dans le
spectacle vivant laisse planer de fortes inquiétudes sur d'autres domaines
comme le cinéma, le patrimoine, la transmission et la démocratisation...
La mobilisation émanant des acteurs du
monde de la culture exprimait une chose simple : à travers leur volonté que ne
soit pas agréé l'accord UNEDIC, pour qu'intervienne une modification des
dispositions des annexes 8 et 10, ils demandaient simplement que les engagements pris hier se concrétisent
aujourd’hui, et
que la gauche au pouvoir tienne ses promesses et agisse donc pour en finir avec
le protocole de 2003. Ce n’est pas à ce stade
la voie qui a été choisie
Nous croyons que Gouvernement
et Parlement doivent fermement s’engager aujourd’hui pour insuffler une autre
logique en direction de la culture. Pas simplement par des mots apaisants, mais
aussi en agissant pour régler les situations de précarités existantes. Défendre notre exception culturelle nécessite, au-delà des
discours, de protéger celles et ceux qui la fabriquent et la
font vivre. Bien
sûr des réformes doivent être mises en œuvre : c'est d'ailleurs en ce sens
qu'il faut remettre à plat le régime de l'intermittence, et œuvrer à la
concrétisation des propositions du comité de suivi, à commencer par le retour à
la date anniversaire, les 507h en 12
mois. Il faut également s'engager sur la prise en charge des périodes de
maladie et de maternité. C’est pour cela que le monde de la culture se mobilise,
c'est indispensable pour sécuriser les parcours des professionnels du secteur. Enfin,
Il faut mettre en œuvre une politique budgétaire à la hauteur des enjeux, pour
l'ensemble des secteurs, au-delà du seul spectacle vivant.
C'est dans les périodes de crise,
quand l'extrême-droite est à l'affût, qu'il faut le plus investir dans la
culture et dans la création, pour que celles-ci puissent continuer à jouer un
rôle éducateur et émancipateur dans notre société. Il est indispensable de
soutenir le rôle essentiel en termes
économiques, politiques, sociaux, démocratiques…, que joue la culture dans
notre pays. C’est aussi pour dire cela que le mouvement des intermittents a
pris une telle ampleur.
La gauche au pouvoir ne peut passer à
côté de ces enjeux, au risque de voir se creuser un fossé, une distance
irréductibles, avec les acteurs culturels : il faut donc agir avant qu'il ne
soit trop tard.
Pour notre part, nous continuerons à
nous engager pour une reforme juste de l’intermittence du spectacle et une réelle
prise en compte du besoin de culture de notre pays.
Hier on me parlait de ce que rapporte la culture et les intermittents ;
RépondreSupprimerAujourd'hui on me parle de ce que coûte la culture et les intermittents ;
Demain j'ai très peur que l'on me parle de ce que coûte l'absence de culture et d'intermittents.
Daniel Richard, militant socialiste et spectateur
Orléans
Bravo et merci pour cette analyse juste !
RépondreSupprimerMerci.
RépondreSupprimerQue cette parole soit largement transmise!