L’intermittence du
spectacle, un enjeu actuel majeur pour le secteur culturel
Dans son rapport consacré aux politiques en
faveur du marché du travail rendu public le 22 janvier dernier, la Cour des
comptes s’en est pris une nouvelle fois au régime des intermittents du
spectacle. Ce n’est pas la première fois qu’elle se fait le relais des poncifs les
plus éculés sur ce statut. Dans ses rapports 2011 et 2012, la Cour des comptes tenait
déjà le régime de l’intermittence pour responsable du déficit de l’ensemble de
la caisse de l’assurance chômage. Il me semble utile de replacer le débat dans
son contexte et de formuler quelques pistes de travail. A l’évidence, la
réflexion sur ce sujet doit se prolonger afin que nous sortions de la situation
conflictuelle que nous vivons depuis 2003.
Le régime de
l’intermittence : historique d’une réponse nécessaire faite aux artistes
et techniciens du spectacle
Le régime des intermittents du spectacle est le fruit d’un combat de la gauche :
le premier statut pour les techniciens du cinéma a été acquis en 1936 sous le Front
populaire, avant d’être élargi aux artistes dans les années 60. Le statut de
l’intermittence du spectacle se compose de deux annexes : l’annexe 8 pour les
techniciens et l’annexe 10 pour les artistes du spectacle vivant et du cinéma.
Il ne concerne donc ni les plasticiens ni les personnes travaillant dans le
secteur du patrimoine.
En juin 2003, après une campagne menée
par le MEDEF, un nouveau protocole avait été signé entre le MEDEF et la CFDT. Les
autres syndicats de salariés avaient refusé de prendre part à cette signature. Un
mouvement de protestations sans précédent des artistes et des techniciens du
spectacle s’était alors répandu dans toute la France, provoquant l’annulation
de la plupart des festivals d’été (Festival d’Avignon, Festival d’Art lyrique
d’Aix-en-Provence, Festival de Montpellier..). Le ministre de la culture de
l’époque, Jean-Jacques Aillagon, fit directement les frais de cette
mobilisation qu’il n’avait pas vu venir et fut remplacé, en avril 2004,
par Renaud Donnedieu de Vabres. A partir de 2004, un comité de suivi du dossier
« intermittents » à l’Assemblée nationale formule une proposition de
loi reprenant les principales revendications de la profession. Cette
proposition n’aboutit pas malgré sa signature par 472 parlementaires et son
inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée le 12 octobre 2006 par le groupe
socialiste.
Le régime de l’intermittence est aujourd’hui la base de fonctionnement du
spectacle vivant et du cinéma en France. C’est en partie grâce à ce statut
d’exception, quasiment unique au monde, que nous avons un tel dynamisme
culturel dans notre pays, que l’industrie du cinéma est aussi productive et le
spectacle vivant à ce point varié. Rappelons que sans l’intermittence, bon
nombre de festivals de musique ou de théâtre qui sont un facteur notable de
création de richesses dans notre pays et qui attirent des millions de touristes
chaque année, ne pourraient avoir lieu. L’intermittence est un des pivots du
mode de production de la culture en France.
Les intermittents sont environ 100 000 salariés sur les 500 000
professionnels travaillant dans la filière culturelle comptabilisée par l’INSEE.
Si leur nombre est en augmentation depuis vingt ans, il stagne depuis dix ans.
On accuse le régime d’être
déficitaire d’un milliard d’euros. En réalité, il génère 200 millions
d’euros de cotisations chaque année et coûte 1 milliard d’euros ; le
déficit net est donc de 800 millions d’euros.
Contrairement au point de vue largement répandu sur les causes de ce
déficit, on peut signaler qu’il n’y a pas de corrélation entre le déficit
de l’Unedic et celui de l’intermittence du spectacle. Depuis vingt ans, les
comptes de l’Unedic sont déficitaires ou excédentaire en fonction de la
conjoncture économique et du développement du chômage. Le déficit de cette
caisse fluctue en fonction de l’état du marché de l’emploi.
Par ailleurs, on note qu’il
n’y a pas de dérive générale du système de l’intermittence. Depuis 2003, c’est-à-dire
depuis dix ans, le nombre de bénéficiaires est resté le même, autour de 100 000
personnes et le déficit identique.
Il est également important
de signaler que le régime des intermittents du spectacle n’est pas le seul à
être déficitaire. Le régime de l’annexe 4 de l’Unedic, relatif aux salariés à
l’activité́ intermittente (sans distinction de la nature de l’activité) et aux
salariés intérimaires des entreprises de travail temporaire, est déficitaire de
1,4 milliards en 2011. Au sein du régime général, les CDD génèrent aujourd’hui 5
milliards d’euros de déficit.
En outre, et contrairement
aux idées fausses véhiculées, il n’y a pas de fraude massive de la part des
intermittents du spectacle. Dans le rapport de la Cour des comptes, il est
clairement indiqué que Pôle emploi a chiffré à 1,8 millions d’euros les pertes
causées par des malversations en 2011 ; c’est bien peu si l’on compare ce
chiffre à la masse des cotisations encaissées, de l’ordre de 200 millions
d’euros.
Enfin, si le système de
l’intermittence est capital pour l’emploi culturel, il ne faut pas oublier
qu’il y a au total 500 000 personnes travaillant dans la culture. Pour
connaitre la réalité de l’équilibre des comptes de l’emploi culturel, il serait
intéressant de prendre en considération la globalité des salariés de la filière
culturelle qui cotisent à l’Unedic. Il faudrait porter à la connaissance de
tous le montant des cotisations des 500 000 personnes travaillant dans la
culture et le coût global généré. On s’apercevrait sans doute que le
déséquilibre n’est pas si saillant ni le système scandaleusement coûteux.
Les
annexes 8 et 10 nécessitent une refonte
Il est important de renégocier la convention de l’intermittence du
spectacle avec les partenaires sociaux. L’Etat a bien entendu son mot à dire,
au sens où il validera ou invalidera l’accord, mais avant cela, il y une
négociation à mener. Aujourd’hui, le protocole qui s’applique n’est pas
représentatif de la majorité de la profession, y compris de ses employeurs
puisque le SYNDEAC, principal syndicat d’employeurs, n’est pas adhérant au
MEDEF. Ce protocole est pourtant prorogé tous les trois ans, sans être remanié.
La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a annoncé lors de sa prise de
fonction qu’elle souhaitait régler cette situation. Deux commissions d’information
ont été formées : une à l’Assemblée nationale, une autre au Sénat.
Le statut de
l’intermittence est un des fondements des métiers de la culture. C’est aussi
une garantie de la diversité et de la vitalité de la filière culturelle
en France. Il est crucial de pérenniser ce statut, même si des
améliorations doivent voir le jour.
Les réformes de 2003 et
2004, consistant à séparer les annexes et à diminuer la durée pour collecter
les heures de travail, n’ont solutionné aucun des problèmes qu’elles étaient
censées résoudre, particulièrement la lutte contre le déficit de
l’intermittence. Dix ans après, il est identique, tout comme le nombre de
bénéficiaires.
En revanche, de nouveaux
problèmes sont apparus. La nature même du régime a été modifié : il est
devenu principalement l’affaire des techniciens et non plus des artistes. En
effet, on a assisté il y a quatre ans à un croisement des courbes entre les
annexes 8 et 10 : le nombre global d’intermittents reste le même mais il y
a de plus en plus de techniciens et de moins en moins d’artistes, ce qui est
paradoxal dans le cadre d’un régime dont l’objet est aussi de soutenir les
artistes. Depuis 2003, les difficultés pour conserver le statut ont augmenté
pour les artistes. Ils ont de plus en plus de mal à rassembler les 507 heures
nécessaires au maintien ou à l’accession au statut dans un délai de 10,5 mois. Pouvoir
vivre de son travail relève pour beaucoup du parcours du combattant. Un autre
problème est apparu : le vieillissement des intermittents du spectacle
bénéficiant du statut. Cela indique que les jeunes artistes ont du mal à
rentrer dans le système et que les conditions
d’exercice de leur art deviennent donc de plus en plus précaires.
Pistes
de travail
Si
travailler à réduire le déficit
actuel est évidemment important, il n’est pas possible d’équilibrer les comptes
car cela correspond à l’économie culturelle. Accepter un déficit est l’effort à
consentir pour soutenir la culture. Faisons jouer la solidarité entre les
régimes d‘assurance chômage plutôt que de monter les catégories sociales les
unes contre les autres et de faire croire que la caissière de supermarché paie
les cotisations du comédien.
Néanmoins, plusieurs
paramètres pourraient être ajustés afin de réduire le déficit du régime de
l’intermittence. Il y a notamment des mesures économiques qui pourraient être
mises en œuvre comme par exemple, de plafonner
les revenus et de déplafonner les
cotisations. Cela permettrait de dégager des marges de manœuvre financières
et d’introduire davantage de justice entre les cotisants.
Autre sujet, celui de la lutte contre la « permittence. »
Pour mémoire, la « permittence » désigne la situation dans laquelle des
intermittents sont employés de manière permanente ou quasi permanente par un
même employeur. C’était un des objectifs affichés de la réforme de 2004. A
l’époque, le service public de l’audiovisuel avait recours de manière massive à
l’intermittence. Si c’est encore le cas aujourd’hui, ce phénomène se retrouve
aussi dans les entreprises privées de l’audiovisuelle productrice de contenus. Ceci
concerne majoritairement des emplois de techniciens, ce qui contribue à faire
glisser le système : plus de techniciens et moins d’artistes intermittents
du spectacle. Force est de constater que les réformes de 2003 et 2004 n’ont pas
donné les résultats souhaités. Si ce travail doit être poursuivi, c’est avant
tout en multipliant les capacités de contrôle de l’inspection du travail plutôt
qu’en multipliant les tracasseries administratives.
En cohérence avec la
priorité affichée par le gouvernement sur l’éducation artistique et culturelle,
il serait utile d’augmenter de manière
significative le nombre d’heures d’intervention artistique pouvant être
prises en compte pour le décompte des heures d’intermittence. Aujourd’hui, sur
les 507 heures d’intermittence à justifier pour obtenir le statut, seules 55
heures dédiées à l’éducation artistique et culturelle peuvent être comptabilisées.
Permettre la prise en compte davantage d’heures d’éducation artistique donnerait
de la souplesse au système, particulièrement dans un contexte où les artistes
ont du mal à rassembler les 507 heures nécessaires. Il est utile de se
représenter qu’aujourd’hui, un artiste est rarement payé pour ses répétitions
et qu’il doit donc cumuler un nombre impressionnant d’heures de représentation
pour conserver son statut d’intermittent. Si on acceptait une prise en compte d’un
nombre plus important d’heures d’éducation artistique, cela permettrait à beaucoup
de jeunes artistes de vivre dans des conditions décentes de leur art et de pouvoir
bénéficier du statut d’intermittent.
En outre, il ne serait pas
illogique d’avoir une durée de
cotisation sur un an et non plus sur 10,5 mois, ce qui est très
contraignant aujourd’hui pour les acteurs du secteur. Les artistes et les
techniciens travaillent tout au long de l’année, y compris et de plus en plus
durant les coupures estivales.
Enfin, il faudrait régler
le problème des « matermittentes »,
c’est-à-dire des femmes enceintes intermittentes du spectacle. Si, dans le
régime général, la durée du congé maternité est prise en compte, ce n’est pas
toujours le cas pour les emplois discontinus. Cette situation est parfaitement
injuste et devrait être réglé.
Au-delà du seul statut de
l’intermittence, il faudrait proposer des formes
nouvelles de mutualisation d’emploi. En effet, les intermittents portent leur
travail individuellement auprès des employeurs qui les mettent souvent dans des
situations de très grande concurrence entre eux alors même que l’art repose,
par essence, sur des liens organiques entre ses acteurs et un travail
collectif. Le système ne reflète pas la nature même de ces métiers. Il y a
notamment beaucoup de TPE (très petites entreprises) dans ce secteur. Il
faudrait donc davantage mutualiser les emplois et les métiers et soutenir les
groupements d’employeurs. Cela renforcerait les liens de solidarité
indispensables aux métiers de l’art, fluidifierait le travail, permettrait des
mutualisations bénéfiques, stimulerait la structuration professionnelle du
secteur, ce qui aurait des effets positifs sur l’intermittence. Enfin, il
conviendrait aussi d’interroger le fait que le statut de l’intermittence ne
concerne aujourd’hui pas l’ensemble des professions artistiques et que,
notamment, les plasticiens en sont exclus.
Frédéric Hocquard
Propos recueillis par Caroline Boidé
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