mercredi 6 février 2013

Mon point de vue sur la question du salaire des artistes.


Vincent, Gérard, Gad et les autres.

Ainsi, comme le suggère une tribune publiée Vincent Maraval dans le journal le journal Le Monde du 27 décembre, les acteurs français seraient un club de nantis surpayés.
Dans la même veine, en septembre dernier, l’hebdomadaire Télérama révélait le montant des revenus du directeur du théâtre de l’Odéon, créant là aussi une polémique. Disons-le tout net, il n’est pas normal de trouver des rémunérations aussi importantes dans des théâtres nationaux et des niveaux de salaires si élevés dans le cinéma subventionné. Et remarquons que, encore une fois, ces gros salaires ne concernent que des hommes. Même s’ils n’ont rien de comparable avec les millions accumulés par des traders ou à coup de stock-options, il sera toujours plus rentable de faire des affaires que du cinéma dans ce pays et l’exil fiscal d’un Bernard Arnault continuera à coûter beaucoup plus cher au fisc que celui de Gérard Depardieu ou de Christian Clavier. 


Cependant, si certains montants des cachets de quelques vedettes qui y sont révélés sont importants, la réalité de la profession d’artiste dans ce pays mérite des nuances que le titre tapageur de l’article ne relève pas. Rappelons que, selon le dernier rapport de la Cour des comptes, en 2010, « le revenu médian annuel des allocataires du régime des annexes 8 et 10 s’élevait à 25 832 €. » On est bien loin des sommets évoqués dans la presse. Les gros salaires ne concernent qu’une infime minorité.

L’intermittence, englobe évidement une réalité plus vaste que les seuls acteurs de cinéma, puisqu’il s’agit aussi de comédiens de théâtre, de danseur, de circaciens… et de techniciens. Mais tous ces métiers sont liés de manière directe à la fabrication et à l’exploitation de spectacle ou d’œuvre cinématographique.
Le métier d’artiste n’est donc pas un métier de rentier. Si l’on en reste au seul cinéma, le réalisateur Robert Guediguian a expliqué récemment dans une interview dans le Monde, que faute de moyen suffisant, il avait réalisé la plupart de ses premiers films avec des niveaux de rémunérations faibles, inférieurs aux nouveaux minimas sociaux, travaillant souvent le dimanche, ou en nocturne

En fait il s’est passé dans le monde du spectacle et du cinéma la même chose que ce qui s’est passé dans le reste de notre société : la crise est passée par là, et les écarts de revenu se sont creusés.

De même que les revenus des patrons du Cac 40 ont progressé ces dernières années, alors que le nombre de chômeurs et de précaires ne cesse de grandir, une infime minorité d’acteurs, de vedettes, ont vu leur revenu augmenter alors que la grande majorité d’entre eux galéraient, ayant de plus en plus de difficultés pour faire leurs heures pour garder leur statut d’intermittents et que nombre de théâtres peinaient à boucler leur programmation et leur production.

En choisissant de fuir la France et d’émigrer en Belgique puis dans sa tribune dans le Journal du Dimanche adressée au premier ministre, Gérard Depardieu n’a donc pas simplement ouvert un débat sur la question de l’exil fiscal de vedettes fortunées, il a aussi mis à jour une inégalité de réparation des richesses dans le milieu artistique et culturelle.

Il faut aussi dire d’où vient l’accumulation de ces fortunes :
Philippe Torreton a eu raison de rappeler dans sa tribune de Libération que Gérard Depardieu a fini par transformer ses « interprétations les plus réussies en stratégie de défiscalisation. ». Et l’on pourrait s’attendre à ce que certains comédiens fortunés fasse preuve d’un peu plus de sens de la solidarité nationale quand on sait que notre système de production d’œuvres cinématographique est en partie basé sur un soutien financier public. Combien de films qui ont fait la gloire, et la richesse, d’un Depardieu ou d’un Gad Elmaleh n’auraient pas vu le jour s’il n’y avait eu l’avance sur recette du CNC ?
Le dernier exemple en date est « L’Homme qui rit », actuellement en salle. Le second rôle en est Gérard Depardieu et les coproducteurs publics en sont France télévision et la Région Rhones-Alpes.

Il n’est pas question ici de discuter de la qualité d’artiste des uns ou des autres ni même de dire que Gérard Depardieu aurait plus raison que d’autres parce qu’il a tourné plus de films, et donc accumulé plus de richesses, ou que les siens ont été meilleurs. Ce serait d’ailleurs une drôle de façon de voir les choses dans un pays qui a vu Georges Meliès, un des plus grands cinéastes français, finir marchand de bonbons à la gare Montparnasse.

La philosophie du système de production de la culture en France est basée sur une intervention publique, dans le cadre d’une péréquation et d’une redistribution. C’est pourquoi une partie (certes faible) de nos impôts sert à financer, via l’Etat et les collectivités territoriales, la création artistique, à entretenir les monuments historiques ou à faire fonctionner les bibliothèques.
De même, quand on achète un ticket de cinéma ou une place de concert, une partie est reversée à des fonds permettant de soutenir d’autres artistes ou d’autres créations qui ont moins de succès public.

C’est cela qui assure de la diversité et le dynamisme de la culture en France. C’est aussi pour cette raison que le CNC est un modèle que l‘on nous copie, qu’il existe, depuis 1977, le printemps de Bourges ou que le Festival d’Avignon est depuis plus de 60 ans « le plus grand théâtre du monde. »

Ce modèle économique est évidemment à défendre. C’est pourquoi la polémique actuelle sur les niveaux de rémunération ne doit pas être l’occasion de jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais l’on doit aussi chercher à améliorer le modèle, à l’aune de l’évolution des technologies bien sûr. Mais aussi à l’aune de ce que le cas Depardieu et ses épigones révèlent.

C’est donc aussi cette question qui interpelle la gauche. Et Aurèlie Filippeti a raison de dire qu’elle souhaite se pencher sur la question du financement du cinéma. Il est temps que s’ouvre un débat sur de nouveaux mécanismes de régulation et de péréquation financière qui prenne en compte cette nouvelle donne économique et technique et qui favorisent une meilleur répartition des richesses dans la filière culturelle.

Gardons-nous que cela ne finisse comme dans le football, où, après l’arrêt Bosman et une coupe du monde remportée à la maison, on a connu une inflation délirante des salaires d’une minorité de footballeurs, des exilés fiscaux et une crise dans le football français.

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